Désobéir, mentir ... et quoi encore ?
(état de veille, épisode 4)
Au-delà de l'opposition entre mensonge et vérité, le respect
Comment évoquer le tandem « mensonge et vérité » sans qu’il soit exclusivement question de morale ou de droit ? Sans les comparer, sans diaboliser l’un ou sanctifier l’autre ? Sans confondre une valeur (la vérité) qui répond à une exigence de croissance et un outil (le mensonge) qui nous permet de nous adapter à la réalité sociale ?
Méfions-nous de cette supposée obligation de dire la vérité qui, dès l’enfance, satisfait davantage le besoin des adultes de garder le contrôle que celui des enfants de protéger leur intimité.
Il s’agit pour les petits et pour les grands d’apprendre à choisir entre deux libertés.
En effet, pas de liberté de « parler vrai » sans celle de jouer, mentir, dissimuler…
Comme toutes les libertés, si elle n’est pas assortie de la permission du contraire, elle devient une obligation. Et la morale revient au galop.
Doit-on pour autant opposer honnêteté et tromperie ?
Comme lumière sur notre route, l’honnêteté est un guide à condition d’être distincte de la transparence, cette utopie à la mode, radicalement incompatible avec la pudeur et la dignité.
Se taire, bien sûr est encore une autre option et se distingue de mentir.
Dire vrai, oui mais « si je veux » et « si je peux » en fonction de mon sentiment de sécurité intérieure et de ma capacité à supporter le regard des autres, souvent leur jugement, parfois la culpabilité ou la honte.
« Je mens donc je suis » affirme Paul Lombard.
Le mensonge suppose empathie et intelligence, précise Boris Cyrulnik, faisant de ce « péché » un art de vivre qui exige modèle et apprentissage.
Loin des excès (mythomanie, abus de confiance… du côté du « Mal », fanatisme de la franchise à tout prix du côté du « Bien ») quelles sont les nuances compatibles avec culture, valeurs, types de personnalités et ce quotidien fait de creux et de bosses ?
Quels sont les risques du mensonge ?
Quand peut-il altérer la confiance ou la détruire à jamais ?
Attention à bien distinguer deux formes de confiance. Une confiance authentique, celle que j’accorde à la personne pour qui elle est – a priori – comme un pari, comme un cadeau et une autre confiance, sorte de chantage à peine déguisé qui attend des gages, dépend des preuves (bonnes notes, fidélité, ponctualité…) et se conjugue au conditionnel « je te fais confiance si tu… » ou « je te ferais confiance », « je t’aurais fait confiance… si j’avais la garantie que tu me dis… la vérité ».
Voici bien l’illustration d’une manipulation, cousine du chantage affectif et voisine du contrôle, expression d’une exigence de vérité qui réduirait l’autre à mon besoin de savoir ou de dominer…
Or le mensonge et la vérité sont d’abord affaire de relation. Quelles sont mes intentions ? Plaire, séduire, (me) protéger ? Acquérir du pouvoir, en abuser, voire humilier ?
Le mensonge est-il pour moi une arme ? (Contre qui ?) Une flèche ? Un bouclier ? de la poudre aux yeux pour épater ou de la fumée pour aveugler ? Une monnaie courante ? Un baume apaisant ou cicatrisant ?
Est-ce que je mens par amour, par lâcheté ou les deux ? Par peur ou par ambition ? Pour me sauver ou pour sauver l’autre ? Pour sortir d’embarras ? Faire preuve de délicatesse ?
Un homme ouvre la porte d’une salle de bains où se trouve une femme nue.
S’il est poli : « Oh, excusez-moi, Madame ».
S’il est délicat : « Excusez-moi, Monsieur !»
Autant de questions relatives à mon image : choix de cacher (ou de nier ?) l’âge, le handicap, le défaut ou de majorer mes atouts : maquiller, colorer, gommer, rectifier…
Jouez-vous au poker ? Si oui, quelle est alors votre émotion ?
Aux cartes, trichez-vous ? Quels plaisirs trouvons-nous dans ces jeux dont nous ne sommes pas dupes : fiction littéraire, hologrammes, trucages, publicité, promesses électorales ?
Quel malaise lorsque nous sommes témoins ou victimes de désinformation (scandale du sang contaminé, Irak) ?
Et lorsqu’il est question de relations avec l’institution : dans le cas de déclarations fiscales frauduleuses par exemple ?
La justification de ces mensonges en famille (Père Noël ou petite souris par exemple) est pour le moins contestable même s’ils prétendent soutenir l’imaginaire des petits…
Comme on peut distinguer trois degrés de manipulation, on pourrait différencier trois types de mensonge selon les relations qu’ils induisent ou accompagnent.
D’abord le mensonge au quotidien, le mensonge artifice où l’autre est mon partenaire consentant ou non, heureux ou non, mais présent assurément. Je veux déguiser la réalité, séduire, obtenir quelque chose (gloire, amour, beauté) j’enjolive, je fais mousser, je farde, j’oublie, je dissimule… Suis-je un illusionniste ?
Ensuite le mensonge duplicité où mon intérêt prime sur la relation.
L’autre est mon rival et je veux marquer des points sur cet adversaire : pouvoir, promotion, titres…
Suis-je un manipulateur ? Dans ce cas : la fin justifie-t-elle les moyens ? Qu’en est-il de mon intégrité morale ?
Enfin le mensonge imposture. L’autre est absent ou réduit à un objet, voire exclu de mes préoccupations. Je le nie ou je le tue (calomnie, faux témoignage…). Il n’est plus question de jouer ou de gagner mais de détruire ou de se venger. Difficile sujet de la torture, du fanatisme et de la folie justifiée au nom de Dieu, d’une idéologie ou de la raison d’Etat.
Suis-je tout puissant ?
La question : « Et l’autre dans ma vie ? »
A nous d’apprendre à distinguer notre désir de dire vrai et notre besoin de mentir, parfois. Il nous appartient de donner priorité plus au respect de la relation qu’au respect de la vérité.
Le mot de la fin sera laissé au duc d’Aumale, « Impossible venir, mensonge suit ».
Désobéir, mentir ... et quoi encore ?
(état de veille, débat de l'épisode 4)
Mentir, désobéir...
(état de veille, conférence)
Comment distinguer autonomie et manipulation ?
Qu'est-ce qui nous fait si peur dans ces libertés à conquérir ?
NOTE : une panne de batterie a eu lieu en cours de conférence, 5 minutes sont donc manquantes. la conférence complète en podcast audio est disponible sur notre page soundcloud, merci de votre compréhension.