(avec) Aliette de Panafieu


(à) l’écran
Vidéaste
Co-réalisatrice

Je marche seule
(Françoise Jaussaud, 2005)




Le charme d’un conte, l’intérêt d’un guide pratique.

Vous aimez la marche dans vos paysages familiers. Votre désir serait d’explorer un jour les Alpes, les Pyrénées, l’Auvergne, l’Espagne. Le livre de Françoise Jaussaud vous encourage sans détour à partir. Elle vous conseille même de vous y risquer… en solitaire.

Qui est cette femme qui choisit de marcher seule ? Elle est née en Normandie et a exercé son métier de professeur à Madrid. Elle est mariée mère de famille et grand-mère. Elle a une soixantaine d’années et marche en solitaire depuis les années quatre-vingts.

A 35 ans, elle fait ses premières randonnées dans les Alpes françaises, sac au dos et topo-guide en poche. Elle y prend un tel plaisir que, quelques années après, elle commence à explorer, seule, la Sierra Norte de Madrid, proche de son domicile. Jusqu’au jour où elle se dit : « Pourquoi ne pas dormir là haut ? ». Au cours des longues marches qu’elle entreprend alors, elle découvre une montagne non balisée, non équipée mais vivante. Elle y rencontre des bergers avec leurs chiens et leurs troupeaux, des gens âgés qui subsistent dans des villages perdus et à moitié abandonnés. Son livre, écrit à partir de ses dix-sept carnets de route, fourmille d’anecdotes.

Pourquoi Françoise Jaussaud s’est-elle éprise de la marche ? Elle n’est pas une sportive de l’extrême. Elle marche pour se sentir exister, mettre plus de ciel dans ses nuits, plus de couleurs dans ses jours. Elle marche pour penser, rêver, écrire et dessiner.

Elle n’est pas une extraterrestre. Elle pourrait être notre cousine ou notre voisine. La tête dans les nuages, certes, les pieds sur les chemins sauvages mais, sur les épaules, un sac de randonneuse avertie, quasiment professionnelle.

Comme une grande sœur, elle donne des conseils. En marcheuse passionnée, elle incite à partir, à explorer les hauteurs, à faire l’expérience de la solitude. Ni ermite, ni mystique, elle apprivoise peu à peu la montagne et se laisse apprivoiser par elle.

Notre marcheuse projette de continuer ses explorations en montagne sans négliger d’en déjouer les pièges et les dangers. Elle transmet ce qu’elle a appris de ses erreurs, compris de ses limites, acquis au cours des années. Quels sont ses atouts ? Un souci de se fondre dans les paysages qu’elle traverse et la confiance en son instinct de marcheuse expérimentée et prudente. « Comment préparer son bivouac ? Longuement. Soigneusement comme s’il allait pleuvoir des cordes ou geler à pierre fendre ».

Autre atout plus important encore : son parti pris de bonne humeur qui lui fait goûter chaque instant.Je marche seulea le charme d’un conte, l’épaisseur d’un témoignage, l’intérêt d’un guide pratique. Du mode d’emploi, il a l’intelligence, de la trousse de secours, la sobriété, du pense-pas-bête, l’humour. Il aurait pu s’intituler Je marche futée. On y parle des provisions, de la documentation, du matériel (connaissiez-vous les douze usages de la serviette éponge ?). On apprend comment utiliser, en toute sécurité, l’eau qu’on trouve en chemin, comment choisir une bonne cape lourde et solide.

Tout au long de ce livre, la marcheuse répond à toutes les questions que le lecteur pourrait lui poser, mais les questions les plus personnelles, celles qu’elle se pose à elle-même, restent parfois sans réponse :

« De quelles peurs mythiques, les autres me parlent-ils quand ils veulent m’empêcher de monter ? »

« D’où me vient cette passion du vagabondage ? De quelle lointaine hérédité cet amour du feu et de la nuit, sous les étoiles ? » Je marche seuleest aussi un recueil de confidences intimes. Pour les habitants des villages isolés qu’elle traverse, la solitude est synonyme d’exclusion, d’un manque à combler. C’est pourquoi les hommes et les femmes de tous âges se confient à elle. « Dans mes carnets de marche dorment des histoires plus émouvantes que celles que l’on publie. Tout y est : l’intrigue, le dénouement, le paysage et les visages. Les secrets, on ne les dit qu’à une personne. C’est un privilège d’en être digne, une forme de bonheur plus mystérieuse encore ». Le lecteur n’est pas invité à se transformer en nomade, mais à retrouver la fonction du voyage : entre départ et retour équidistants comme une quête d’inconnu pour mieux se découvrir soi-même.

Françoise Jaussaud nous incite à créer notre propre vie comme elle crée son chemin : elle, dans la montagne et nous, là où nous conduit notre boussole intérieure. Il se dégage de Je marche seuleune certaine sagesse et un art de vivre ailleurs et autrement.

Aliette de Panafieu