(avec) Aliette de Panafieu


(à) l’écran
Vidéaste
Co-réalisatrice

La tétine (chronique anachronique 1)


Drôle d’idée que la tétine !

Ce bouchon qui réduit notre bébé/petit à un orifice d’où surgirait quelque chose de désagréable !

Nous t’attendions, bébé, faisant le rêve humain d’un accueil 7/7, inconditionnel, joyeux, généreux, ravi.

Où est passé ce ravissement ?

Qu’en est-il de cette disponibilité chaleureuse ?

Coup de théâtre !

Ton gazouillis nous empêche de nous concentrer.

Ta plainte nous contrarie, par le sentiment d’impuissance qu’elle génère.

Ton cri nous insupporte.

Ta demande nous reste trop difficile à déchiffrer – surtout la nuit, surtout en public.

Alors, la tétine te somme de te taire, de trouver dans ce bout de plastique une consolation « automatique », un substitut de bras et de paroles.

La première fois que tu es « bouché », j’imagine ta surprise.

Je crains qu’ensuite tu te lasses.

Je redoute que tu te résignes.

Je déplore que tu puisses choisir alors de renoncer à toutes ces tentatives de créer du lien, de faire des demandes, c’est-à-dire d’exister.

Les Analystes Transactionnels nomment « injonctions » ces messages non verbaux qui nous privent, très tôt, des permissions de vivre pleinement et d’élaborer cette précieuse légitimité, fondement de confiance en soi.

A la tétine, j’associe le message « n’existe pas ! ».

Pas le droit de parler, de pleurer, de t’affirmer dans notre monde.

Tu seras toléré si tu te tiens tranquille, si tu es sage/gentil/silencieux.

Tu seras aimé à certaines conditions, notamment celle de ne pas me troubler dans mon confort.

La tétine « ta gueule » comme l’appelle ma pédiatre préférée.

La tétine comme impératif à l’efficacité suspecte.

La tétine comme premier message paradoxal :

Tu es humain, c’est-à-dire doué de parole.

Je t’empêche d’avoir accès à cette forme de relation.

Tu es toi / tais-toi !

La tétine comme disqualification de nos petits comme humains et de nous-mêmes comme parents responsables.

La tétine comme signe de nos difficultés à faire des choix :

Un enfant, oui

La priorité à ses besoins, non

Mais priorité à mes désirs de tranquillité, si, si !

Zut alors, pense le bébé.

Jusqu’à quand ?

Que vais-je inventer pour mettre un terme à cette torture ?



︎ SOROLLA Y BASTIDA, Joaquin (1908), The Little Granddaughter, huile sur toile, 206,5 x 267,7 cm, source