Microbe, où est ta victoire ? (chronique anachronique 6)
Ma grand-mère et ma mère savaient que je construisais mon système immunitaire non seulement en respectant les règles d’hygiène (sommeil, alimentation, propreté …), mais aussi en « attrapant » la rougeole et les autres maladies infantiles.
Elles déclenchaient un plan « dispense-d’école-bouillote-jus-de-fruits », et même au retour du 37°, « œuf-au-lait-avec-écorce-d’orange ». Et lecture de contes …
Elles imposaient un périmètre de sécurité autour de ma chambre et me permettaient de voguer sur des nuages de fièvre et de pensées cotonneuses. Toutes ces sensations auraient pu m’effrayer si je n’avais entendu leur pas dans le couloir comme gardien de ma sécurité pendant ces heures de quarantaine.
Ce n’était pas une faute que d’être bousculé(e) par un microbe le temps d’une expérience exceptionnelle.
Ce n’était pas un péché que d’être au centre des soins maternels ou grand maternels et de recevoir ce surcroît d’attention ouatée.
Le microbe avait sa fonction.
Il était plus ou moins bien accueilli selon la date de l’agression : veille de récitation de la fable, du théorème ou des verbes irréguliers, ou avant-veille du départ familial pour une semaine de camping en Corse.
Mais le microbe faisait partie de la vie. Et de la santé, à condition de ne pas réduire la santé à l’absence de maladie.
Qu’en est-il aujourd’hui de nos réactions face à toute cette menace de désordre ?
Ici, désordre consécutif à l’apparition de la fièvre, à la peur des complications, plus hallucinées qu’avérées, aux tentations de méthodes radicales susceptibles d’éradiquer cet épisode hors norme.
Le microbe met du bazar dans la maison, dans l’emploi du temps parental et dans un organisme pourtant boosté aux vitamines mais insidieusement affaibli par du sucre, encore du sucre, toujours trop de sucre.
Sachons donner priorité à ce temps mystérieux, intime et physiologique sur le temps social, public et rentable !
Faisons-nous confiance, lors de ces moments de fragilité, pour consolider nos défenses !
Donnons à nos enfants la permission de perdre une bataille contre le microbe pour gagner la guerre contre le virus.
︎ MATISSE, Henri (1952), Nu bleu, papiers gouachés découpés et collés sur toile, 116,2 × 88,9 cm