(avec) Aliette de Panafieu


(à) l’écran
Vidéaste
Co-réalisatrice

“Ne touchez pas à ma toile !” 
(chronique anachronique 11)


« Ma » Sainte Anne est vivante.

Elle n’est ni mourante

Non aux soins palliatifs !

Ni morte.

Non à l’autopsie !

Elle a simplement pris des rides.

Non à la chirurgie esthétique !

Elle a vieilli, quoi de plus naturel !

Oui, ses couleurs sont dénaturées par les siècles, comme pour tout organisme vivant.

Oui, mon tableau a des taches, comme les mains de ceux qui le manipulent.

Oui, Sainte Anne a déjà 500 ans. Et à cet âge, elle a le droit de changer sans être harcelée.

Non à cette violation de son mystère !

Face à cette trahison, me voilà bien impuissant à protéger mes personnages de la salle d’opération que je ne voulais pas pour eux.

Je conteste cet abus de pouvoir à l’image d’une société qui ne supporte ni de perdre sa magnificence, ni de vieillir, ni de mourir.

Mon intention était de transmettre une Sainte Anne hors du temps.

Autour d’elle, depuis des mois, il est question de chiffres, de calculs, de dosages et d’âge.

Je me félicitais de sa pudeur. Je la vois aujourd’hui violentée par des éclairages qui menacent son intimité.

Je la concevais comme source d’émotion, de silence, de recueillement.

Autour d’elle, on discute, on argumente, on veut des preuves, on veut avoir raison.

Des scalpels ont remplacé mes pinceaux.

Des experts, mes élèves.

Des mots barbares, la vibration de l’inspiration dans mon atelier.

Est-ce le sort de tout chef d’oeuvre d’être ainsi maltraité ? D’être coupable et donc puni de porter les marques du temps ?

Parfait ou refait ?

Messieurs les conservateurs, restaurateurs et autres références, avez-vous donc si peur de vieillir que vous ne supportiez pas de voir Sainte Anne perdre son éclat et son charme d’origine ?

Je vous exprime ici mon profond désaccord et mon vif courroux. C’est en toute confiance que j’avais transmis mon tableau à la postérité. Non comme objet d’observation scientifique. Mais comme occasion de rencontre, de méditation, de rêve …

Je vous ai fait le cadeau d’une oeuvre vivante donc mortelle ! Laissez-la vivre !

︎ DE VINCI, Leonard (1508-1510), La vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, huile sur bois, 168x130cm